Histoire d'un désastre : les Sport 3,5 litres. Tome 5 et fin...
Le 11 novembre, c’est le second coup de tonnerre, cataclysmique celui-ci. Une réunion de la FISA a lieu à Londres en l’absence non négligeable de Jean Todt retenu à Paris par une grève du transport aérien. Etonnant tout de même que Yves Courage, lui, ait bel et bien réussi à venir… A l’issue de cette réunion, Mosley et Ecclestone enterrent le Championnat du Monde 1992 ! Il n’aura pas lieu ! Bob Wollek réagit, narquois : « C’est une bonne idée ce championnat de constructeurs. Dommage qu’il manque des… constructeurs ! » Gérard Welter lui, déclare, plein de bon sens : « On ne fait pas pousser un chêne en plein désert. » Chez Peugeot, on se mobilise fortement pour ne pas voir tous ces investissements réduits à néant. On a déjà subi la mort du Groupe B, on se retrouve désormais embringué dans la disparition du Groupe C ! Une réunion est organisée au siège de PTS autour de Jean Todt avec tous ceux qui veulent repartir pour 1992. Mais Mercedes en est absent. Il n’en ressort pas encore grand-chose de concret hormis une liste assez fantaisiste de 20 partants possibles, le chiffre magique attendu et exigé par la FISA. Ce qui est certain, c’est que beaucoup s’inquiète de la tenue des moteurs 3,5 litres au Mans. Il est donc envisagé de pouvoir changer le moteur durant la course ! On touche là au fondement même de l’endurance… Finalement, l’hypothèse, envisagée par Balestre, au cœur de l’hiver 89-90 de transformer les 24 Heures en course de 4 Heures seulement sur le Bugatti avait quasiment autant de sens… On évoque même l’idée d’accepter les Groupe A au Mans. Ce qui est certain et clairement affirmé par Jean Todt, c’est que les « anciennes » ne pourront plus avoir la part belle au Mans. Peugeot ne veut plus, comme en 1991, être le faire-valoir de ceux qui disposent de gros moteurs…
10 décembre, Nouvelle volte-face de la FISA : le Championnat déclaré décédé le 11 novembre est mis sous perfusion un mois plus tard ! Mosley se veut conciliant après avoir semé la zizanie ! Il donne rendez-vous fin janvier afin de connaître les engagés. Le 19, tout le monde se retrouve à nouveau chez PTS à Vélizy. Seuls Toyota, Mazda et Peugeot semblent être partants certains pour la saison à venir mais les japonais exigent d’avoir la certitude de la part de la FISA, que le championnat soit bel et bien lancé le 4 janvier. Evidemment, cette date ne sera pas tenue. Ce qui ne fera pas fuir les nippons piégés par les investissements déjà consentis. Pour le reste, rien n’est sûr sauf que TWR ne veut plus du championnat mais veut bien du Mans ! L’hypothèse de la présence de Mercedes revient sur le tapis avec une seule voiture : peu crédible.
Déclaré mort puis ressucité, le Championnat 92 part mal !
Le 20 janvier, bien tard pour réussir à trouver des sponsors, la FISA confirme le Championnat du Monde des Voitures de Sport pour la saison à venir. Pourtant Mercedes est définitivement hors du coup. Une liste de 20 voitures suscitant plus d’inconnues que de certitudes est publiée. 13 pour le championnat, 7 pour la Coupe FIA. Ainsi, 2 XJR-14 engagées par le Randall Motorsport figurent sur cette liste. Nul ne connait ce team. Nul ne le verra jamais. Dès le mois de mars, cette équipe privée de sponsor se retire ! Le fantomatique projet Citra Sports engageant les curieuses Allard J2X disparait lui aussi ainsi que l’engagement de l’ALD, pourtant initialement maintenu par la veuve de Louis Descartes. On comprend bien que jamais nous n’aurons les 20 voitures promises.
Pour Le Mans, l’inquiétude monte aussi quant au plateau qui sera présent. Si les ex-groupe C ne sont pas désirées, elles seront tolérées à condition de consommer moins de 2140 litres. Porsche qui gère directement les intérêts de ses clients ne veut pas que les 962C se rendent dans la Sarthe dans ces conditions et menace d’un retrait global. Qui n’aura pas lieu.
En Mars, c’est l’arrivée de la couleuvre la plus fumeuse que l’on ait tenter de faire avaler aux constructeurs. La FISA exige que les constructeurs assument financièrement les risques financiers pris par les organisateurs ! Elle reçoit un refus poli mais quelques semaines plus tard, ceux-ci accepteront de payer à la FISA, les amendes des équipes déclarant forfait ! Absolument surréaliste… Et révélateur d’une époque de fous. Au niveau du calendrier, les « bonnes » habitudes perdurent alors qu’apparaissent des craintes concernant les deux premiers rendez-vous de l’année, Monza et Silverstone, peu désireux d’assumer d’inévitables pertes financières dues à l’organisation de ces épreuves.
Mais qui sera au Mans ???
Alors qu’approche à grand pas la date des 24 Heures du Mans dans l’incertitude la plus folle, l’ACO envoie ses requêtes à la FISA afin d’assurer un plateau plus convenable, toujours en tentant d’assouplir un peu le bridage imposé aux anciennes. Sous la pression des tenants des 3,5 litres et surtout de Peugeot, elles seront refusées en bloc et cela nous assure définitivement de l’absence officielle de Jaguar après 6 années de présence continue. Henri Pescarolo assène alors : « Todt est le plus fort mais c’est une catastrophe pour Le Mans. Peugeot sera champion puis s’en ira… »
Et puisqu’il faut bien constituer un plateau tout de même pour Le Mans, on tombe dans l’ubuesque. Le règlement ouvre la voie, à deux mois de l’épreuve, aux prototypes des championnats nationaux du stype Peugeot 905 spider, proto Alfa Romeo ou Prosport britannique. Ces diverses voitures tourneront au mieux en 4 minutes 30 au tour au Mans et se feront donc doubler tous les trois tours ! Mais ce n’est pas tout… Les conditions pour pouvoir s’engager au Mans en tant que pilote sera simplement de présenter une licence de grade B. Bref, on racle les fonds de tiroir.
Monza, 2 voitures classées ! Sinistre farce...
C’est dans cette ambiance qui réussit à devenir encore plus noire que l’année précédente que Monza a finalement lieu, contre vents et marrées. Sur les 20 « voitures » engagées au championnat, 12 se présentent. Il n’en reste que 3 roulantes lors du drapeau à damiers et deux seulement seront classées. Deux dont une qui est le bac à graviers, victime d’un tonneau deux tours avant l’arrivée, la 905 de Yannick Dalmas. Toyota « s’impose » donc devant la Peugeot. La Gebhardt et la Spice survivantes n’ayant pas parcouru 90% de la distance de la Toyota, se voient privées de l’honneur de figurer sur la feuille de résultats. Deux semaines plus tard, ce sont 11 voitures seulement qui sont à Silverstone. Piteux. Quatre terminent et Peugeot s’impose devant une Mazda officielle qui n’est autre que la Jaguar XJR-14 transformée par Mazdaspeed et TWR, désormais mue par le V10 Judd.
Quelques jours plus tard la FISA annonce 44 voitures pour les 24 Heures mais l’étude de la liste fournie laisse immédiatement comprendre qu’elle n’a rien de réaliste. Fin mai, on est déjà retombé à 38. Elles ne seront que 29 à se présenter aux Jacobins. Enfin, 29 auxquelles il faut ajouter, tenez-vous bien, trois mulets chez Peugeot, deux chez Mazda, un pour Toyota et un pour les frères Alméras. Dans ces temps de disette totale, voir autant de voitures juste là « au cas où » rajoutait à l’immense frustration des spectateurs. Quand on vous disait que les temps étaient délirants ! Au niveau TV, c’est toujours la chienlit et les téléspectateurs français devront se contenter de bribes sur TF1. Seuls les heureux câblés pourront réellement suivre la course sur TV Sport, le concurrent de l’époque d’Eurosport. Mais cette chaine est confidentielle…
28 au départ... Merci la FISA !
Le soleil brille lors des essais marqués par la performance ahurissante de Philippe Alliot sur un mulet destiné au seul exercice de la qualif et à ce titre, dépourvu de phares… 3’21"209. C’est 5 secondes de mieux que les Toyota ! Mazda semble totalement hors du coup. Le samedi de la course, la météo se charge d’en rajouter une sérieuse couche à l’humeur maussade qui règne sur ces stands à moitié vides. Pensez donc, vous qui êtes habitués désormais à voir plus de 60 voitures au départ que, avant même le départ en 1992, 18 rideaux étaient déjà tirés sur les 46 stands de l’époque ! Car finalement, ce ne sont que 28 voitures qui prennent le départ, une Spice manquant de fonds pour s’aligner sur la grille… 28 soit la moitié du nombre des partants trois éditions plus tôt, monstrueux et ignoble gâchis…
La pluie permettra à Mazda de venir jouer les trouble-fêtes dès le début de course, en provoquant une grogne malvenue de la part de Derek Warwick, celui-ci jugeant Volker Weidler trop agressif ! Le jeune allemand profitait simplement du très bon comportement de sa MXR-01 sous la pluie pour aller chercher la tête devant les yeux ravis des anglais qui n’ont pas oublié que cette Mazda doit beaucoup à Jaguar… La suite la course prouvera d’ailleurs que la Mazda n°5 était bel et bien dans le coup notamment grâce à ses Michelin et sa quatrième place finale ouvrait bien des espoirs pour l’avenir. Peugeot réussit à cueillir cette victoire tant désirée non sans avoir dû se méfier jusqu’au bout de la Toyota n°33 qui terminera deuxième. Malgré le plateau le plus faible de l’après-guerre, la course avait bien eu lieu. Le plus étonnant ? Certainement en partie grâce à la pluie, elle nous avait offert un suspense que l’on n’espérait guère.
ACO-FISA, la rupture, enfin !
Mais le ver est dans le fruit et l’ACO tire immédiatement les conséquences de sa collaboration avec la FISA. Dès le 23 juin, constatant que la fréquentation a chuté de 30 à 35%, elle annonce rompre son lien avec la FISA et porte l’affaire en justice au prétexte que la FISA n’avait pas respecté ses divers engagements : quantité de voitures présentes, couverture TV notamment ! Conséquence directe, Le Mans perd la manche de Formule 3000 prévue en septembre. Eh oui, c’est bien la preuve que la FISA disposait de sacrés moyens de pression pour imposer ses vues et que sortir intact de ses griffes n'était pas aisé. Cela n’empêche pas l’ACO dès le mois de juillet de présenter un projet de règlement faisant la part grande à l’ouverture, non seulement vers les anciennes groupe C mais aussi vers les GT ! Le tout en conservant au moins une année de plus les Sport 3,5 l.
La suite de la saison (enfin, les brides de la suite…) se déroule dans une ambiance toujours plus sinistre. A Donington, tout le monde se plaint de l’absence des télés au Mans. Peugeot poursuit sa moisson de succès alors que les manches de Jarama (comme d’hab’) et du Mexique sont annulées. Le « championnat » 1992 ne se tiendra donc que sur 6 épreuves ! Peugeot domine en Angleterre puis à Suzuka. A l’approche de l’ultime manche de Magny-Cours, c’est l’hallali. Charles Zwolsman, le patron d’Euro Racing part en prison convaincu de trafic de drogue, une histoire déjà vue à de nombreuses reprises dans le sport auto… Les belles Lola-Judd seront donc absentes de la finale à Magny-Cours. Laquelle ne verra donc que 8 (oui, huit ou deux fois quatre, pas d'erreur de lecture !) voitures prendre le départ... Peugeot Sport pour l’occasion amène trois 905 Evo 1 bis ainsi que la toute nouvelle Evo 2 alias Supercopter qui ne disputera que les essais. Cette voiture ne roulera donc jamais en course. Pour une simple et bonne raison, le 7 octobre, par un simple communiqué de 3 lignes, la FISA a définitivement enterré le Championnat du Monde. Plus personne ne souhaitant le relancer pour 1993, c’est la fin inéluctable d’une époque détestable. Réclamant 37 millions de francs à la FISA, l’ACO gagnant son procès contre la FISA n’en récupèrera que 3… soit bien moins de 500.000 euros.
Mort indigne d'un championnat...
On peine encore à comprendre aujourd’hui comment des batailles d’ego ont pu mener à un tel désastre. La relecture des archives de l’époque vous déglingue le moral et l’on se demande comment une fédération peut ainsi s’entêter à foutre par terre l’un de ses championnats qui, après quelques années difficiles, promettait tant. Les spectateurs floués que nous fumes auraient du pouvoir monter une action de groupe contre la fédération et son jusqu'au boutisme aveugle. La politique de la terre brulée a porté ses fruits. Derrière les Sport 3,5 litres, rien n’a repoussé. La F1 n’ayant quasiment plus de concurrence, Peugeot n’eut plus d’autre choix que de la rejoindre mais en simple motoriste de McLaren. Comme le fit Mercedes avec Sauber. Quant aux 24 Heures du Mans, elles donnèrent une ultime fois, en 1993, l’occasion aux 905 et TS010 de s’expliquer, sous le soleil cette fois. Le chant de leur V10 et leurs performances fascinantes nous hanteront longtemps dans les années qui suivirent, ces années où il fallut tout reconstruire. Oui, elles nous fascinèrent ces 3,5 litres. Mais elles ont également enterré, par la volonté de certains hommes, celles qui étaient là avant elles et nous offraient un spectacle non moins superbe. Oui, elles nous fascinèrent. Mais oui, nous les vîmes arriver d’un mauvais œil, un œil méfiant. L’histoire donna raison aux sceptiques. Et pourtant oui, elles nous fascinèrent et nous fascinent toujours...
On a coutume de dire que l’endurance est faite de hauts et de bas. Cela est surtout vrai depuis les années 70. Mais ce qui est certain, c’est que cette dépression-là n’était due qu’à de bas calculs mercantiles associés à une véritable volonté de nuire. Elle prouva à qui voudrait s’en souvenir que rien n’est moins fiable que l’engagement d’un grand constructeur. Elle prouva à qui voudrait s’en souvenir que l’argent ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval. Elle prouva à qui voudrait s’en souvenir que les privés bien que moins riches, sont les vrais piliers de l’endurance. On n’aurait jamais dû l’oublier… On l’oublia pourtant.
Laurent Chauveau
A l'issue de cette longue fresque, j'envoie un immense merci à Jean-Marc Teissèdre et à ses ses articles dans Auto-Hebdo. Je me suis généreusement appuyé dessus pour affuter une mémoire pourtant encore très vivace quant à ces évènements qui n'auraient jamais dû avoir lieu...
Avec un autre grand remerciement aux photographes qui m'ont aidé à illustrer ce pan indigne de l'endurance...
Pour revivre l'hiver sordide de 1989-1990 qui aboutit à la création des deux chicanes dans les Hunaudières, je vous oriente vers cet article écrit il y a déjà 10 ans à quelques jours près !
Bravo Laurent, superbe retrospective !
Merci Mathieu 😉