Hommage à Jean-Pierre...
Il faisait partie de cette génération de pilotes français amenés au plus haut niveau mondial par l’aventure Matra. S’il n’avait pas réellement pu concrétiser avec les belles bleues, il le fit ensuite avec les jaunes et noirs. Abrité par sa bulle, avec l’aide de Didier, il avait porté la belle A442B au bout de l’effort en cette année 1978. Il fallait épargner cette boite que l’on savait fragile et le duo sut y faire.
Et lorsque au cours du dernier ravitaillement, Gérard Larrouse demanda à Pironi de rester au volant, lui qui avait eu plus de facilités que son coéquipier à s’habituer au fonctionnement devenu de plus en plus délicat de la Hewland, Jean-Pierre n’eut aucune peine à remettre les gants dans le casque et à demeurer simple spectateur du triomphe de sa voiture. Lui qui avait tant œuvré à la mise au point des Renault Alpine savait que cela n’enlèverait rien à la valeur de sa victoire… Et ses larmes sur le podium au son de la Marseillaise furent touchantes au plus haut point.
Deux années plus tard, alors que Jean Rondeau est nerveusement épuisé par sa double casquette patron-pilote et une météo qui met tout le monde au défi depuis samedi 16 heures, c’est à Jean-Pierre que revient la responsabilité d’emmener la M379B à l’arrivée. Pourtant, un nouvel orage menace et finit par éclater. La piste est de nouveau noyée et la Rondeau échappe au contrôle du normand. Par chance, elle ne heurte rien et elle va pouvoir reprendre la piste. A une condition toutefois. A condition que le Ford Cosworth 3 litres daigne redémarrer. Or ça fait quelques heures qu’il y rechigne régulièrement. Jean-Pierre prie pour que cela marche. Mais à la première tentative, rien n’y fait. Silence dans le cockpit. La sueur doit commencer à s’écouler un peu plus. La Porsche 936 de Ickx-Joest grignote son léger retard pendant que la n°16 noire reste bêtement immobile. Jean-Pierre réessaie. A plusieurs reprises, il appuie sur le bouton du démarreur. Et par miracle, cela finit par marcher. Plus rien n’entravera son chemin. Jean-Pierre Jaussaud s’offre son second succès manceau mais surtout, il contribue à un exploit de légende, celui du premier pilote constructeur à inscrire son nom au palmarès des 24 Heures du Mans. Jean Rondeau a gagné. Grâce à Jean-Pierre… Le duo se reformera mais la suite de l’histoire est moins glorieuse, Porsche ayant repris sa domination.
Le Mans Classic 2004, Jean-Pierre est revenu au volant de la A443. En face, il y a Jürgen Barth sur une Porsche 936/77. On se croirait presque revenu en 1978. Et la magie de la course va nous faire revivre le grand affrontement Porsche-Renault. Après les changements de pilotes, les deux voitures se retrouvent à la bagarre. Nos deux pilotes ne sont plus de toute première jeunesse mais la fougue les anime toujours. En face, la foule joue le jeu à fond, elle est ravie de voir l’Alpine revenir sur la Porsche. Elle hurle de joie lorsque Jean-Pierre passe devant la Porsche, juste devant les tribunes. La clameur est colossale. L’enjeu est faible pourtant. Mais finalement pas tant que ça. Et l’auteur de ces lignes n’est pas le moins sensible à cette baston qui lui rappelle tant premières émotions de fan du Mans… Jean-Pierre non plus n’est pas insensible. Jürgen s’accroche donc il le surveille du coin de l’œil dans les rétros. Et cela lui fait commettre la faute. Il perd la A443, La 936 repasse… La foule manifeste immédiatement sa déception. La bulle historique vient de se briser. Porsche gagne la 4ème manche face à Renault. Mais Jean-Pierre nous a permis de revivre nos si belles émotions passées.
Le 22 juillet 2021, Jean-Pierre Jaussaud s’en est allé. Définitivement. Nous laissant toutefois ces magnifiques souvenirs que nous chérissons. Peut-être discute-t-il déjà avec Pironi du moyen de laisser rentrer un peu plus d’air dans cette bulle en plexi sous laquelle ils étouffent. Devant, il y a une Porsche à aller chercher…
Laurent Chauveau