Histoire d'un désastre : les Sport 3,5 litres. Tome 4
L’hiver 90-91 passe avec la présentation d’une BRM à moteur V12 cherchant du budget pour la saison 1992 au mieux et la présentation de la SGR (qui deviendra Roc Ford au Mans). Mais tout cela ne fait pas un plateau royal… En février, alors que Mercedes ne cesse de limer le bitume au Paul Ricard avec sa C291, faisant face à de nombreux problèmes de fiabilité, c’est soudain la C11 triomphante de la saison passée (sauf au Mans, hein…) qui ressort elle aussi pour des tests. En fait, il apparait clairement que la C291 ne sera pas suffisamment prête. Décision est donc prise d’aligner en début de saison une C11 pour Schlesser-Mass afin d’assurer les points alors que les petits jeunes, Wendlinger-Schumacher dévermineront la nouvelle-née. Le plateau famélique du championnat 1991 est annoncé en Avril. 18 voitures seulement sont inscrites ! Il y en avait plus de 36 deux ans plus tôt ! Et sur ces 18 voitures, 7 seulement sont des 3,5 litres. Deux Jaguar, deux Peugeot, une Mercedes (deux après Le Mans), une Spice-Ford (l’affaire avec Lamborghini ayant capoté) et une ALD-Ford courant après les budgets… Avoir réservé 10 places sur la grille pour 7 voitures, voilà qui était ambitieux… Le Joest Racing est absent. Reinhold Joest confie : « notre récente victoire aux 24 Heures de Daytona 1991 a eu bien plus d’impact que notre succès à Dijon l’an passé. Nous allons sur des circuits vides aux mauvaises dates et sans TV. Nous nous faisons traiter d’amateurs par Bernie. Pourquoi venir ? Et construire une 3,5 litres est un pari insensé, regardez Spice qui y a laissé sa chemise… » Effectivement, la société anglaise a déposé le bilan et si l’activité se poursuit, c’est simplement pour entretenir le parc existant. Ce n’est plus une équipe de course, la Spice du championnat étant engagée un team néerlandais, Euro Racing. Henri Pescarolo affirme dans l’Equipe du 10 avril 1991 : « Le Championnat du Monde des Voitures de Sport ne sert qu’à piéger les constructeurs pour les emmener vers la F1, je le vérifie dans les faits. »
Un début de championnat peu encourageant...
La première course se tient à Suzuka. Finalement, ce sera sur 430 km et non plus 2H30. Si, si, vous ne rêvez pas, nouveau changement… Pourquoi pas 500 km ? Pour éviter un troisième arrêt ravitaillement aux 3,5 litres. Ah et puis ce n’était pas la peine de réduire la durée des courses pour attirer les télés, elles ne sont toujours pas là ! Sur le plan sportif, la Jaguar XJR-14 met au pas la concurrence en collant 2 secondes à la meilleure 905 lors des essais. Mais aucune de ces voitures n’est encore robuste. 15 voitures seulement prennent le départ (Non, pas 18…) Aucune des Jaguar n’est classée, la Mercedes des petits jeunes flambe (au sens propre) et ne voit donc pas l’arrivée. Une 905 abandonne mais l’autre, par miracle, s’impose ! La Mercedes C11 à moteur turbo est totalement surclassés avec ses 100 kg. Elle si dominatrice en 1990 avec ses 900 kg se prend 25 secondes en 3 tours une fois la tonne atteinte en 1991. Ridicule ! Après 10 boucles, elle en a quasiment déjà une de retard… Jean-Louis avoue se « faire chier ». Mais du fait de la casse chez les 3,5 litres, Schlesser-Mass finissent 2ème et scorent des gros points…
De retour en Europe, les concurrents apprennent que la manche du Paul Ricard est annulée ce qui fâche tout rouge Jean Todt, qui voulait une seconde manche en France. Finalement, on casera une course à Magny-Cours en septembre mais les vicissitudes du calendrier ne sont pas finies…
Un calendrier et un plateau très fluctuants...
A Monza, 17 voitures sont dans le paddock, toujours pas 18… La Jaguar explose les Peugeot lors des essais avec près de 5 secondes de marge et cette fois-ci, TWR concrétise et se paie un doublé à l’issue de la course. Une 905 abandonne, l’autre finit 8ème à 6 tours. On sait déjà que Peugeot Talbot Sport planche sur une évolution majeure de la 905 pour tenter de réagir. Elle est prévue pour la deuxième moitié de saison, après Le Mans. Mercedes engrange encore un podium grâce à la grand-mère, la petite nouvelle explose une nouvelle fois le V12. Tout va pour le mieux dans le monde des 3,5 litres.
16 voitures prennent le départ à Silverstone ou Jaguar domine encore, mais nouveauté, la Mercedes C291 sépare les deux XJR-14 à l’arrivée. La C11 finit 4ème tandis que pour Peugeot, c’est plus mitigé avec une 6ème place et un moteur dans le sac. Les écarts demeurent colossaux entre les XJR-14 et les autres. 4 secondes en qualif…
Les essais du Mans ? Mal de crâne garanti...
Il est donc temps d’aller au Mans avec un plateau famélique pour une telle épreuve. 38 voitures seulement prendront le départ. Chez Sauber, on sait très bien que la C291 n’a aucune chance d’aller au bout et ce sont donc 3 C11 qui seront alignées. Chez Jaguar, on hésite à mettre au moins une XJR-14 au départ mais les seules qui ont des chances d’aller au bout sont les 4 XJR-12 avec le V12 7,4 litres sur lesquelles on compte vraiment. Peugeot n’a pas le choix et vient avec des 905 au régime moteur réduit de 1000 tr/min mais on doute qu’elles passent la nuit… A signaler que l’équipe française se signale lors des premiers jours par la présence de maitres-chiens entourant la structure PTS dans le paddock. Je n’invente rien, j’y étais et je les ai vus. On ne passe pas ! Super ambiance dans ces stands tout neufs…
Le règlement ubuesque oblige Jaguar et Mercedes à faire rouler les 3,5 litres lors des essais afin d’éviter de se prendre l’amende de 250.000 dollars pour forfait. Sauber prend donc bien soin à ce que la C291 ne prenne pas le risque de se qualifier. Kreutzpointner en prend le volant pour deux tours en mode taxi. Il réalise la « perf » hallucinante de 6’55"969 (non, aucune faute de frappe. Ça vaut bien le coup d’avoir un V12 pour faire un tel chrono…) et réussit sa mission, la C291 restera au garage. Chez TWR, on joue bien plus le coup. La n°4 se lance dans la chasse au chrono (la n°3 est pourtant présente mais ne sortira pas). Andy Wallace tente d’aller chercher la pole, condition sine qua none pour que Tom Walkinshaw la laisse prendre le départ. En 3’31"912, il sécurise la Pole effectivement mais pas le meilleur chrono. Eh oui… Au Mans, les anciennes sont beaucoup moins désavantagées par leur 1000 kg que sur les circuits plus lents. Et le gros V8 turbo 5 litres des C11 permet à Schlesser de signer le meilleur chrono en 3’31"270 ce qui lui permet de partir… 11ème !!! Eh oui n’oubliez pas que les 10 premières place de la grille sont réservées aux 3,5l. Donc la n°1 s’élancera directement derrière la Spice n°44 qui a signé un chrono de 4’10"607 soit 39 secondes plus lent. Consternant mais telles étaient ces années…
Mercedes trébuche, Mazda la joue fine...
N’ayant pas réalisé le meilleur chrono absolu, la XJR-14 sera privée de départ par Tom et on s’expliquera donc entre anciennes, le début de course « flamboyant » des 905 n’étant qu’un feu de paille. Comme prévu, à la nuit tombée, les deux Peugeot avaient déjà regagné leurs camions… Mercedes domine copieusement la course mais énorme surprise, la fiabilité ne suit pas. Une manière de payer l’absence de 1990 ? Toujours est-il que deux des trois C11 abandonnent, seule celle des jeunes finit mais le V8 n’est plus très fringant. Mazda en profite pour triompher ! Et vous savez quoi ? La voiture qui devait peser 830 kg comme l’année passée mais à qui finalement la FISA avait ajouté 50 kg en décembre spécialement pour Le Mans la passant à 880 kg n’avait finalement pas été alourdie de ces 50 kg par la FISA et pesait finalement bien 830 kg. Vous avez mal au crâne ? Moi aussi… Ça n’a l’air de rien mais c’est évidemment cette habile négociation des japonais qui leur a donné la victoire. Car si les Jaguar XJR-12 Silk Cut occupe les 2ème, 3ème et 4ème places, c’est en ayant roulé toute la course sous la menace d’une consommation en essence excessive du fait des 100 kg de lest auxquelles elles, n’avaient pas échappé… Et Bob Wollek de conclure « on aurait dû laisser les anciennes à leur poids d’origine puisque ceux qui engagent les nouvelles ne s’accordaient aucune chance de rallier l’arrivée. C’eut été mieux pour la sécurité. » De fait, rarement les Porsche 962C n’eurent à souffrir d’autant de problèmes affectant les freins ou les trains roulant. Toujours est-il que le nouveau grand succès populaire de l’épreuve sarthoise cache mal les inquiétudes que l’on peut alors avoir pour l’avenir du championnat et des 24 Heures elles-mêmes ! Seule certitude que nous ayons alors, c’est celle que le fabuleux quadrirotor Mazda doit entrer au musée puisque la FISA exigeant une superbe uniformité des moteurs, ne veut plus des moteurs du type Wankel animant la 787B. Désolant…
Peugeot 905, déjà une évo !
La manche suivante se tient au Nürburgring. Les « vieilles » sont cette fois-ci restées à. Mercedes aligne désormais suffisamment deux C291 (ainsi qu’un mulet). Peugeot arrive avec la fameuse 905 evo 1Bis qui démode directement la première version. Et qui va s’élever immédiatement au niveau de la Jaguar sur cette manche allemande avant de la distancer à Magny-Cours puis Mexico : illustration de la puissance des budgets... Etant donné que la Mercedes se rapproche aussi de ces deux références, l’atmosphère pourrait revenir à l’optimisme. Hélas, des rumeurs de départ de Mercedes vers la F1 se font jour. L’avenir de Jaguar se fait quant à lui incertain avec une implication grandissante de TWR en F1. Décidément, quand ça ne veut pas. Et puis, après Jarama en 1990, c’est au tour de Jerez en cette année 1991 d’être annulé en dernière minute. Décidément l’Espagne, quand ça ne veut pas ! Mais ça ne ravit personne, surtout pas les adversaires de Jaguar qui perdent là une occasion de rattraper leur retard de points. Silk Cut qui avait prévu une grosse opération sur un marché très porteur pour le cigarettier est furieux. Et que dire de Repsol, privé de sa manche à domicile. Le Canada ayant lui aussi été annulé, le Paul Ricard transformé en Magny-Cours, l’instabilité calendaire agace également Jochen Neerspach, le patron des sports de Mercedes : pas bon au moment où la firme à l’étoile hésite à poursuivre en 1992…
Pendant ce temps-là, les nouvelles 3,5 litres privées arrivent sur les circuits (Brun et Konrad) mais leurs prestations sont, sans trop de surprises, incomparablement inférieures à celle des usines, se contentant notamment, de quelques tours aux essais en Allemagne. Il faut dire que les budgets à rallonge ne se trouvent pas sous les sabots d’un cheval surtout lorsque comme Walter Brun, on est toujours en litige avec la FISA en espérant être remboursé des frais de Montréal 90…
Enfin des bonnes mesures... Trop tard ?
En Septembre, la FISA précise les contours de la Coupe FIA pour 1992. Les mesures vont enfin dans le bon sens pour aider les privés à s’impliquer. Les voitures admises dans cette Coupe voient leurs poids descendre à 700 kg mais aussi et surtout le régime moteur maxi de leur moteur (toujours un 3,5 litres) sera désormais maintenu au-dessous de la valeur de 8500 ou 9000 tr/min. De quoi diminuer leur puissance mais aussi de diminuer largement les frais de maintenance. Le calendrier offrira 10 courses de 500 km dont 6 en Europe auxquelles ces concurrents de la Coupe FIA auront obligation de participer. Malgré la navrante obligation d’aligner des équipes de deux voitures, une fois encore calquée sur ce qu’il se fait en F1, un vent d’optimisme revient sur le paddock pour la saison à venir. D’autant que Euro Racing annonce s’allier avec Lola et Judd pour la saison à venir.
Mais ça ne va pas durer. D’abord parce que cette fois-ci et comme promis de longue date, les anciennes ne seront plus du tout les bienvenues en Championnat. Seuls les moteurs 3,5 litres seront admis. Mais aussi et surtout parce qu’il apparait de plus incertain de revoir TWR en 1992, des rumeurs de location des XJR-14 se faisant jour. Autre mauvaise nouvelle, le patron de Fedco qui soutenait Spice part en prison ! De quoi se faire des cheveux blancs pour une société en sursis depuis des mois. Une petite phrase de Jean Todt dans l’Equipe du 27 septembre 1991 ne manque pas de sel : « Le sport auto devient de plus en plus cher et il faut trouver des moyens, il en va de la survie de ce sport. » Oui, c’est vrai, les sport 3,5 litres, portées à bout de bras par la FISA avec le concours de PTS coutent bien plus cher que les groupe C de la première heure. S’en plaindre revient un peu à couper la branche sur laquelle on s’est assis.
Deux coups de tonnerre !
Le 9 octobre, c’est un premier coup de tonnerre. Max Mosley est élu à la tête de la FISA. Balestre a été désavoué ! A la fin du mois, le Championnat 1991 se conclue à Autopolis au Japon sur la victoire de Mercedes. De quoi redonner le sourire ? C’est à voir. Nissan affirme qu’ils ne seront pas prêts pour 1992, Courage ne croit pas à l’avenir des 3,5l, Les frères Kremer sont de moins en moins sûrs de venir. Chez TWR, on prépare une XJR-17 dérivée de la XJR-14, avec le V6 des XJR-10 dépourvu de turbo mais encore faut-il trouver au moins un client… Un second coup de tonnerre absolument retentissant ne va pas tarder à survenir…
A suivre...
Laurent Chauveau
Avec mes remerciements à tous les photographes ayant bien voulu contribuer à illustrer ce tome 4 !
Merci d eclairer ce sombre pan de l histoire du sport auto …Todt l’a joué filou avec ses potes sur toute cette affaire ..la presse etait au pas
Merci 😉