Histoire d'un désastre : les Sport 3,5 litres. Tome 3
L’hiver 1989 est marqué par deux colères énormes de Jean-Marie Balestre qui décide de s’attaquer de front et simultanément à deux monuments du sport automobile. Tout d’abord, c’est Ayrton Senna côté F1 qui se doit de lui faire une lettre d’excuses, suite à l’incident de Suzuka avec Prost, s’il veut pouvoir recevoir sa Super Licence lui permettant de courir en F1 en 1990 ! Ensuite, c’est Le Mans et ses Hunaudières qui sont directement attaqués au nom de la sécurité. J’ai très largement évoqué ce navrant épisode dans un long article que je vous invite à consulter ici (navrant dans la manière dont il a été mené avant tout). Bref, l’hiver n’a rien de serein, JMB gagnera sur les deux tableaux. Lorsque l’on est omnipotent, il ne peut pas y avoir match mais l’ego du monsieur a surement dû se satisfaire de ces « victoires… »
L'ACO sous pression !
Conséquence de cette affaire des Hunaudières, les dirigeants de l’ACO annoncent dès le 29 janvier que les 24 Heures du Mans 1990 auront de nouveau lieu hors championnat. Bien avant la présentation du calendrier officiel du championnat qui elle n’aura lieu qu’en Avril ! Oui, Avril, pratique pour les équipes… Un calendrier qui amène immédiatement quelques soupçons de malveillance envers les frondeurs du Mans, surprise non ? Une semaine après les 24 Heures, le barnum du Championnat du Monde doit se déplacer à Jarama, le tourniquet madrilène. Ubuesque… Comment les équipes auraient-elles le temps de remettre en état leurs autos après la semaine la plus fatigante de l’année en moins d’une semaine ? Dès la révélation du calendrier, Mercedes annonce qu’elle ne remettra pas son titre en jeu dans la Sarthe, jouant les légalistes absolues vis-à-vis de la FISA ce que les fans absolus du Mans (dont votre serviteur) ne leur pardonneront pas. Le 8 février 1990, Peugeot Talbot Sport convoque la presse à Vélizy afin de lui présenter la maquette de la future 905. Jean Todt en profite pour mettre la pression sur l’ACO en précisant que Peugeot ne viendra au Mans en 1991 que si les 24 Heures figurent au calendrier du Championnat. Bref, il faut, dans un championnat purement sprint, absolument intégrer une épreuve purement endurance. La quadrature du cercle…
La saison 90 débute à Suzuka ou les équipes japonaises remplacent les équipes européennes financièrement incapables d’envoyer leur matériel sur place. Le public nippon répond à l’appel de manière un peu plus timide qu’à Fuji mais les tribunes ne sont pas vides. C’est au retour en Europe que la catastrophe se fait jour. Monza, Silverstone et Spa, souffrant d’un manque abyssal de publicité de la part du « promoteur » dépendant de la FOCA, se déroulent devant des tribunes vides. Les anecdotes figurant dans Auto-Hebdo ou Sport Auto à ce sujet sont navrantes ! A Spa, Christian Lahaye appelle les trois spectateurs par leurs prénoms ! Au manque de promotion s’ajoute à une hausse spectaculaire du prix des billets d’entrée… La discipline qui prenait de la force les années précédentes redevient confidentielle avec un plateau pourtant toujours très beau, seul Aston Martin faisant défaut par rapport à 1989…
Pas de public...
Mais si l’on prend le public pour un cochon de payant, les concurrents eux-mêmes ont droit au même traitement. Les conditions d’accès au paddock se durcissent encore. On en avait déjà viré les spectateurs mais maintenant, ce sont les constructeurs eux-mêmes qui sont obligés de payer des suppléments imprévus pour y amener leurs invités. Seuls les motorhomes sont désormais admis dans cette enceinte, les petits camions de restauration, aménagés avec goût peuvent être aussi jolis qu’ils veulent, ils ne sont « pas assez chers mon fils ». Et les négociateurs ne cherchent pas visiblement à faire dans le cordial. On se demande bien ce que cherchaient la FISA et la FOCA à l’époque si ce n’est à établir des standards F1 que la discipline n’était pas en mesure d’atteindre en deux temps, trois mouvements ! Le but était évidemment double. Soit ça prend mais du fait des surcoûts imposés, on se retrouve avec uniquement des constructeurs et ça devient un business profitable. Soit ça ne prend pas, le bazar s’effondre et tous ces gentils constructeurs seront bien obligés d’aller vers cette F1 qu’ils refusent pour l’instant. Dans tous les cas, ces privés (de sous) sont des gêneurs…
Mais si l’on peut « comprendre » la logique de ne vouloir que des constructeurs, il est bien plus difficile de piger comment l’on peut se mettre des sponsors à dos. Or après l’épreuve de Spa, Sport Auto et l’Hebdo font bien comprendre que Hydro Aluminium par exemple, sponsor de Walter Brun, ne rêve que de s’enfuir après les tracasseries de paddock anglaises et ardennaises! En voulant plumer toujours plus un poulet encore vivant, on finit par s’en faire un ennemi… Il est évident que tous ces dirigeants mettent la charrue avant les bœufs…
Pas de TV...
Quant à la fameuse couverture TV garantie par l’équipe d’Ecclestone, elle est famélique. Pour les 1000 km de Spa par exemple, seuls 1500 foyers belges recevant Canal+ peuvent espérer voir en direct la course… Consternant.
Arrivent alors les 24 Heures sans Mercedes mais avec la foule, la grande foule. Tant pis pour les absents ! 230.000 spectateurs confirment que le moteur de la discipline reste avant tout les 24 Heures. C’est l’évènement qui fait que les constructeurs sont là et qui attire une foule grandissante. Plus grandissante que le plateau puisque du fait des incertitudes nées du conflit avec la FISA, ce ne sont plus 55 voitures qui se présentent au départ mais 49 seulement. Sachez que dans le paddock, il y a bien plus de voitures puisque les équipes ont amené leurs voitures pour Jarama. Par exemple, les Jaguar XJR-11 ne rouleront pas au Mans mais sont exposées sous la tente du team derrière les stands… Or qu’apprend-on pendant la semaine mancelle, à 10 jours seulement de la course espagnole ? Que celle-ci est annulée, purement et simplement suite à un problème d’homologation du circuit. Cela ne manque pas de provoquer un nouveau tollé chez les concurrents, le saccage organisé de la discipline se poursuit.
Le Mans surnage, Jaguar sauve sa saison !
Jaguar s’impose après 24 Heures passionnantes. Jesus Pareja nous fait pleurer après 23H45 d’un combat magnifique en allant stopper sa 962C aux couleurs Repsol devant ses panneauteurs de Mulsanne, moteur cassé. Les spectateurs britanniques crient leur joie en voyant cet abandon offrir un doublé à leurs fauves britanniques. Nissan a joué le jeu à fond mais il manquait à la fois la fiabilité et la sérénité à une armada probablement trop disparate. Quant aux Mercedes, ah ben non, c’est vrai, elles n’étaient pas là… Peugeot pour sa part, invite la presse à Montlhéry quelques jours plus tard. La première Sport 3,5 litres d’un grand constructeur prend la piste…
Au mois de Juillet 1990, la FISA apporte des précisions complémentaires concernant la saison 1991. Désormais, seuls les constructeurs peuvent concourir pour le titre de Champion du Monde, les privés pouvant participer à la toute nouvelle Coupe FIA ce qui, au moins, ne leur impose plus forcément de prendre part à l’intégralité de la saison. Les voitures à moteur turbo se verront grevées de 100kg supplémentaire ce qui ne va pas sans poser quelques questions de sécurité notamment pour les 962C dont la conception d’origine remonte à presque 10 ans à ce moment-là ! Elles pèseront désormais 1000kg alors que la 956 a été conçue pour 800… Les voitures à moteur rotatif elles, pourront conserver leur poids de 830 kg. Histoire de bien faire comprendre que les anciennes voitures ne seront plus en odeur de sainteté, on réserve les 10 premières places des grilles de départ aux 3,5 litres atmo. Au moment où cette annonce est faite, il faut bien comprendre que l’on se demande comment on va réussir à trouver 10 voitures de cette génération en 1991 ! Il n’empêche qu’une relative dynamique commence à s’enclencher. Des rumeurs disent Alfa Romeo intéressé par une présence dès la fin 1991 en vue d’une saison complète en 1992 avec un V12 à la place du V10 vu dans la Procar. Mercedes ne tarde pas également à annoncer l’étude d’un V12 3,5 litres. En septembre, Spice et Lamborghini mènent des essais sur piste. Jaguar et TWR à ce moment-là demeurent assez mystérieux. Avec le recul, on se rend pourtant compte que la XJR-14 était forcément déjà sur les planches à dessin. La sauce pourrait donc prendre…
On impose le 3,5 litres sans partage. Ni discernement...
Une autre annonce concerne la durée des courses qui passeraient pour la plupart à 4 heures maxi et deux d’entre elles seraient de 2 heures seulement. Mais, comme on dit à l’armée, quand tu reçois un ordre, pour éviter le désordre, attends le contrordre. Celui-ci ne tarde pas à venir à l’automne. Les courses ne dureront finalement que 430 km. Ah et puis non, ce sera 2H30 ! Mais l’histoire n’est pas finie…
Le 18 septembre 1990, fait majeur, l’ACO fait sa reddition et accepte le joug de la FISA et de la FOCA, certainement pour ne pas passer à côté de Peugeot et ses 905… Les droits TV sont donc bel et bien la propriété de Bernie désormais !
La petite embellie de l’été ne dure guère. Montréal marque pourtant les grands débuts de la 905, mais c’est à une fin de course prématurée à laquelle nous assistons, fin de course due à un évènement peu banal. Une plaque d’égout a été aspirée par la Porsche Brun de Jesus Pareja, provoquant la destruction immédiate de la voiture et emportant dans son malheur la troisième Porsche Brun (la première avait déjà été accidentée plus tôt dans la course, sale week-end pour Walter…) ainsi qu’une Cougar ! L’homologation de la piste étant du ressort de la FIA et les plaques ayant déjà été ressoudées le matin car certaines ne donnaient pas confiance, ce sera là une source majeure de conflit entre Walter Brun, Yves Courage d’un côté, la FISA de l’autre. Les deux premiers attendent en effet des dédommagements pour les frais de remises en état des voitures.
Mexico signe la fin d’une saison décevante sur le plan sportif, marquée par une domination argentée outrecuidante ! 9 à 1 pour Mercedes face à Jaguar au décompte des victoires. Mais Jaguar a gagné la course la plus importante de l’année, la seule qui offre un véritable écho médiatique, celle que les allemands ont snobé… Les absents ont toujours tort !
Les angoisses de l'inter-saison...
Fin octobre, Nissan puis Spice se déclarent inaptes à disputer la saison 1991. En novembre, on commence à s’inquiéter très fortement quant au plateau de la saison à venir. Des rumeurs de retrait de Toyota se font jour. Walter Brun annonce des chiffres qui donnent le vertige. Tandis que ses trois 962C ne lui coutaient au total par saison que 5 millions de francs suisse, sa future 3,5 litres lui en coûtera le double. Mais pour seulement deux autos ! Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les gros atmos ou les moteurs turbo de la formule à la consommation tournaient relativement peu vite tout en étant puissants. Pour offrir 700 chevaux, le V12 Jaguar de 7 litres tournait à 7000 tr/min tandis que le flat-6 turbo de Porsche se contentait de 5500 tr/min. Les révisions pouvaient donc être assez espacées tout en étant relativement peu onéreuses. Les « petits » 3,5 litres atmo, pour sortir plus de 600 chevaux, devaient atteindre des régimes bien plus élevés : 11.500 tr/min pour le V10 Peugeot par exemple. La facture d’entretien était d’un tout autre calibre ! Avec des voitures moins puissantes, l’aéro devenait encore plus importantes pour aller chercher la perfo. Or l’aéro, ça se paie… Bref, le coût des 3,5 litres était hors de portée de la plupart des privés et c’est logique puisque ni la FISA, ni la FOCA n’étaient attentives au sort des privés, ne s’occupant que des constructeurs…
En Décembre, on perd également Obermaïer et ses Porsche Primagaz. Mais qui va donc garnir les grilles de départ ? Par conséquent, c’est une nouvelle volte-face de la FISA qui veut tenter de redonner un peu d’attrait aux groupe C propulsées par le flat-6 Porsche en repassant le poids mini de 1000 kg à 950 kg. Sauf au Mans ! Vous suivez ? Les Nissan et Toyota turbo demeurant à 1000 kg, voilà qu’on leur enlève l’ultime possibilité de les voir venir faire le nombre… Mazda conserve ses 830 kg sauf au Mans ou les 787B emporteront 50 kg de gueuse supplémentaire. Tiens, c’est nouveau ça ! Conséquence, Obermaïer revient mais Yves Courage demeure mesuré sur ce geste puisque « nous sommes en décembre, c’est trop tardif pour aller chercher des sponsors. » Bref, une gestion remarquable.
A suivre...
Laurent Chauveau