Histoire d'un désastre : les Sport 3,5 litres. Tome 2
Dès la manche du Championnat du Monde d’Endurance se déroulant à Brands Hatch fin juillet 1988 la FISA confirme aux constructeurs les décisions qu’elle avait précédemment prise pour « l’endurance… » Le moteur 3,5 litres atmo est bel et bien destiné à devenir le choix unique dès 1991. Mais on le favorisera dès 1990 en bridant les motorisations alors utilisées en groupe C et au potentiel bien supérieur, notamment sur les courses de longue haleine, autrement dit Le Mans. Car c’est une autre nouveauté, Le Mans est la seule course de longue distance demeurant au calendrier. Les courses de 1000 km doivent en effet disparaître pour être réduites de moitié. La raison ? D’après Bernie, il faut absolument offrir le produit qu’elles veulent aux TV. Drôle d’argument lorsque à la même époque, les après-midis entières consacrées au tennis connaissent un grand succès !
1000 / 2 = 500 km ! C'est encore de l'endurance ?
Autre mesure annoncée et qui elle n’est pas vraiment critiquable, est l’obligation faite aux équipes de prendre part à l’intégralité du Championnat. Certains concurrents, les constructeurs japonais par exemple, se plaisaient depuis quelques années à ne participer qu’aux seules 24 Heures du Mans (preuve que celles-ci demeurent le joyau de la couronne) sans s’intéresser à aucune autre épreuve hors Japon. Mais si cette décision se comprend parfaitement pour une usine, elle est plus difficile à admettre pour des privés qui n’ont que rarement le budget pour se rendre au Japon ou au Mexique… Et c’est d’autant plus effrayant pour un privé que tout forfait pour une seule course sera frappé d’une amende de 250.000 dollars, une somme très importante de nos jours mais gigantesque à l’époque ! Cela ne pouvait que freiner les envies de ces privés qui pourtant garnissaient généreusement la grille jusque-là. Enfin, ultime mesure, on envisage de réduire encore en 1991 la durée des courses et par conséquent d’imposer un seul pilote à bord durant l’intégralité de la course. De quoi mettre au chômage sans réelle bonne raison, un sacré nombre de pilotes ! L’une des contreparties promises par la FOCA à ces conditions draconiennes est une bonne couverture TV du championnat. Mais les promesses n’engagent que ceux qui les croient dit-on…
Ces décisions fédérales ne tenant aucun compte des contre-propositions faites dans la coulisse par les constructeurs, ceux-ci sont furieux. Pour autant, aucun ne se désolidarise du Championnat. Il semble qu’il existe entre eux, une forme d’accord tacite pour s’expliquer entre constructeurs, sans la possibilité de se faire éventuellement battre par des privés au budget ridiculement faible, ce qui serait difficile à justifier devant un conseil d’administration… C’est sur cette forme de soumission intéressée que va s’appuyer la FISA pour faire passer en force ses desiderata.
Fin 1988, alors que la FIA met un terme final au Championnat d’Europe Groupe A (une discipline détruite en deux ans !) plongeant notamment les 24 Heures de Spa dans une période de trouble, Peugeot annonce son entrée en Sport-Prototypes pour la saison 1991 avec un 3,5 litres atmosphérique. C’est cette annonce qui, on le verra plus tard, va déstabiliser l’ACO dans son combat à venir avec la FISA. Car le retour d’une marque française au Mans est fondamental pour un véritable retour en grâce de l’endurance auprès des médias généralistes français. Médias qui déjà, avaient pris pour habitude de snober Le Mans.
En mars 1989, Alfa Romeo, qui envisageait de se replier vers l’endurance après s’être fait berner en Procar, lance les tests de son V10 dans une Lancia LC2 modifiée et il se murmure que l’étude d’une vraie 3,5 litres de 750 kg était à l’étude.
Des pratiques nouvelles... et dénuées de manières !
Dès le début du Championnat 1989, la mainmise de la FOCA sur l’organisation se fit sentir et commença à faire grincer des dents. Les équipes n’avaient d’autre choix que de passer par l’agence de voyages officielle, celle-ci faisant gonfler généreusement les prix au passage. Le traiteur du paddock était également imposé ! Bonjour la convivialité… Les 24 Heures du Mans avaient été officiellement inscrites au Championnat du Monde d’Endurance sans qu’ait été tout à fait réglé un léger différent entre ACO et FOCA, celui des droits TV. La FOCA et la FISA, propriétaires du championnat, considéraient dès lors que les droits TV associés leur revenaient. Mais l’ACO, privée là d’une source fondamentale de revenus, considérait, elle, à raison, que Le Mans était la locomotive qui tirait l’ensemble du train. Il est assez évident que les constructeurs japonais par exemple, n’étaient intéressés que par l’épreuve sarthoise. A ce titre, les droits TV des 24 Heures se devaient de revenir à l’ACO. Apparemment, un pré-accord entre les deux parties devait laisser les droits TV de la France et du Japon revenir à l’ACO, c’est à ce prix que les 24 Heures figuraient au calendrier. Mais un pré-accord ne vaut guère plus qu’une promesse, n’est-ce pas…
Enfin, la FOCA exigeait, pour qu’une épreuve soit inscrite au calendrier, que les organisateurs paient un « droit de plateau » dont le ticket d’entrée était suffisamment salé pour qu’avant même le lancement du championnat, Monza et Silverstone se retirent. Ces frais remettaient totalement en cause la pérennité de leurs épreuves, les rentrées d’argent retirées des billets vendus aux spectateurs ne pouvant assurer l’équilibre financier.
Parallèlement sur le plan sportif, c’est l’embellie. Mercedes annonce l’étude d’un moteur 3,5 litres atmosphérique ce qui confirme sa volonté de demeurer dans la discipline aux côtés de Peugeot et peut-être d’Alfa Romeo. Quant au plateau 1989, il est magnifique puisque Mazda, Nissan et Toyota ont rejoint Jaguar et Mercedes tandis que Joest représente une usine Porsche cachée dans la coulisse et que Aston Martin fait débuter une AMR-1 au V8 destructeur de tympans ! Mercedes s’impose à Suzuka (qui a bizarrement remplacé Fuji, épreuve pourtant immensément populaire au Japon depuis une décennie. Encore et toujours une envie de s’aligner sur les standards de la F1). Joest triomphe à Dijon. Tout s’annonce donc bien pour Le Mans sauf que…
Le Mans 1989 : hors Championnat !
Sauf que le pré-accord sur les droits TV entre FOCA et l’ACO est remis en cause, l’ACO en tire donc les conséquences et retire, à moins d’un mois de l’épreuve, les 24 Heures 1989 du Championnat du Monde. Si l’on comprend parfaitement l’ACO, la décision fait évidemment hurler chez les constructeurs qui se retrouvent contraints à participer à un Championnat duquel on a retiré l’épreuve phare. Les japonais n’apprécient pas du tout mais Mercedes, très pro-championnat plus que pro-Le Mans, ne goûte guère non plus la situation ! Toutefois, aucun constructeur ne déclare forfait et les 24 heures offrent un plateau royal. Un plateau complété par ceux qui n’auraient jamais pu venir si l’épreuve était restée au championnat : 55 voitures prennent le départ, les stands sont au complet ! Sauber triomphe sans avoir dominé outrageusement, Jaguar et Porsche ayant chacun eu leur heure de gloire durant ce double tour de cadran. Mais l’on redoute pour l’ACO un violent retour de bâton de la FISA après cette fronde… D’autant plus que l’ACO n’a pas été capable, étant donné la décision tardive de quitter le Championnat, d’offrir une couverture télé satisfaisante, surtout en France…
Peu après les 24 Heures du Mans, l’idée du pilote unique est abandonnée selon les dires du Président Balestre. Celui-ci, pratiquant la méthode Coué, annonce également sans sourciller que d’ici trois ans, le Championnat du Monde des Voitures de Sport dépassera en notoriété la Formule 1 ! Typiquement dans le genre des déclarations à l’emporte-pièce que JMB appréciait faire… Jean Todt de son côté avouait qu’il préférait nettement l’idée des courses très courtes et du pilote unique. C’est une preuve de plus que du côté de Peugeot, ce n’était pas l’endurance que l’on était venu chercher en priorité mais bien un titre de Champion du Monde… En fin de saison, Jean Todt annonce que la future 905 ferait ses débuts en fin de saison 1990 ce qui ne fait aucun cas de l’obligation de participer à l’intégralité du championnat. Mais entre gens de bonne compagnie, on va trouver un accord permettant à un constructeur de participer aux deux dernières courses de la saison à condition de prendre part à la saison suivante, accord dont se servira également Toyota en 1991…
Mélanger Sprint et Endurance ou concilier l'inconciliable...
Du côté d’Aston Martin, on fait clairement comprendre à la même époque, que Le Mans est une priorité absolue par rapport au Championnat. Voilà qui devrait remettre l’église au milieu du village mais Aston, racheté par Ford auquel appartient déjà Jaguar, est prié de se retirer de la compétition afin que les deux marques ne se fassent pas concurrence… Du côté de la FIA, nouvelle volte-face, le Conseil Mondial annonce que finalement, les courses en 1991 se dérouleront sur 4 heures ! Voilà qui plait à nombre de concurrents mais déplait fortement à Alfa Romeo, toujours pas officiellement déclaré partant… Il est clair que ce qui effraie tout le monde avec ces courses courtes, c’est leur incompatibilité avec les 24 Heures du Mans. Comment concilier les exigences d’une voiture prévue pour 10 courses de 2 heures et celles d’une voiture devant durer 24 heures ? L’avis de tous les ingénieurs majeurs de l’époque est qu’il faudra imaginer deux voitures différentes par constructeur ! Encore un fait qui n’est pas de nature à diminuer les coûts… Et qui ne peut que mettre les privés au ban du championnat.
La FIA annonce aussi réserver le championnat à 36 voitures et JMB d’annoncer qu’il s’attend à avoir plus de 40 candidats, qu’il faudra donc faire des choix ! Une forfanterie typiquement présidentielle qui sera totalement battue en brèche par les faits. Il est également décidé une disparition du groupe C2 dès 1990, catégorie qui pourtant apportait un complément de plateau fort important sur le plan numéraire (Spice, Tiga et autres ALD principalement). Mais que voulez-vous, il faut que ça brille et Bernie ne doit pas apprécier ces amateurs sans le sou qui tirent le diable par la queue…
A suivre...
Laurent Chauveau