Ah ben non, désolé...

Equilibre délicat...

Rappelons-nous. En 2019, à la veille de 6 Heures de Spa bien neigeuses, la Toyota TS050 n°7 claquait la pole en 1’53"747. Hier, au cour du Prologue de ce FIA WEC 2021, la toute nouvelle Toyota GR010 signant l’arrivée de la catégorie Hypercar, n’aura pu faire mieux que 2’04"669 après deux jours de roulage : près de 11 secondes moins vite. La baisse de performance était évidemment attendue puisque la cible des Hypercars au Mans est de rouler en 3’30" au tour donc il n’y a pas là de surprise. Evidemment, une fois constatées ces 11 secondes de déficit sur un circuit de 7 km, on peut se demander à combien va se monter la facture au Mans dont le tracé mesure presque le double. Avec la BOP actuellement définie, on pourrait presque douter que les Hypercars puissent toucher la barre des 3’30"…

Intrinsèquement, ce n’est pas un gigantesque problème. Les voitures passeront un peu moins vite. La différence se verra probablement à l’œil mais elle n’aura probablement rien de catastrophique contrairement à ce qu’elle fut en 1994 lorsque les Sport 3,5 litres quittèrent le paysage et que de vieilles groupe C bridées prirent le relais. En l’espace de 12 mois, on avait alors perdu 26 secondes sur un tour pour la pole ! De 3’24"94 pour la Peugeot de Philippe Alliot à 3’51"05 pour la Courage d’Alain Ferté… Notre perception de la vitesse des meilleurs avait alors pris une sacrée baffe. Cette impression avait été sacrément amplifiée par la perte des moteurs 3,5 atmos qui auditivement, nous ont laissé un souvenir impérissable. On ne peut en dire autant des Flat 6 turbo des Courage ou des Dauer, voire des V8 turbo des Toyota qui animèrent la course de 1994… Il y a un avantage, pour ceux qui auront la chance d’assister aux 24 Heures en cette année 2021 : ça fait bien longtemps désormais que l’on a perdu les moteurs hurlants. Au moins, ce paramètre sonore n’influera pas sur la perception de la vitesse de passage des autos…

Non, le vrai problème n’est pas dans la performance intrinsèque des Hypercars puisque l’Alpine A480, une LMP1 devenue Hypercar en ayant dû laisser de nombreux chevaux à l’écurie, est à peu près au même niveau. Le problème est évidemment, et l’on pouvait le redouter, dans le niveau de performance des LMP2, pourtant elles aussi sérieusement étouffées et alourdies durant l’hiver. Après deux jours de roulage, ce sont bel et bien les LMP2 qui ont tenu le haut du pavé. Trois Oreca 07 ont roulé plus vite ! L’écart est loin d’être abyssal et la situation pourrait même nous donner une course vraiment sympa dimanche si rien ne devait changer d’ici là ! Mais avec un 2’04"168 pour l’Oreca Aurus, la meilleure des GR010 est distancée de 0"5…

Toyota en a avalé des couleuvres depuis le départ de Porsche et de ses 919. Il a d’abord fallu accepter, et à juste titre pour sauvegarder la discipline, de voir l’EOT entre LMP1 privées et usines largement revues et à plusieurs reprises en faveur des premières. Ce n’est qu’ainsi que la Rebellion de 2020 put décrocher la seconde place sur la grille de départ en 3’15"822 puis la deuxième place finale au terme de 24 Heures sans public.

Toyota a ensuite dû accepter quelques atermoiements dans la gestion du futur niveau de performance des Hypercars. Initialement annoncé en décembre 2018 aux alentours des 3’22" au tour en qualif, cette valeur a été ramenée à 3’30" depuis juin 2019. Mais si à l’époque, c’était via un moteur thermique de 550 kW (750 ch) et 1040 kg. Suite à l’annonce de la convergence ACO-IMSA intervenue à Daytona en janvier 2020, la nécessité de devoir équilibrer les LMH avec les LMDh et leur tout petit moteur électrique (50kW soit 67 chevaux contre 200 aux LMH) a amené les législateurs à ramener la puissance totale à 500 kW pour 1030 kg. Mais Toyota avait déjà dessiné son moteur… Bref, toutes ces vicissitudes ont été acceptées par le constructeur japonais auquel on ne pourra surtout pas reprocher sa résilience, lui qui avait déjà, en deux ans, perdu ses deux meilleurs ennemis allemands !

Mais il est évidemment inacceptable pour Toyota de voir les LMP2 se balader aussi vite que la GR010, voire même un peu plus… Rob Leupen le fait comprendre et c’est parfaitement légitime. La catégorie de pointe se doit de rester en pointe, c’est un pléonasme. Les LMP2 ont pourtant été bien freinées au cours de cet hiver. Pour preuve, la meilleure pole LMP2 sur ce même circuit de Spa date de 2019 et fut enregistrée en 2’00"674. 3,5 secondes ont donc été perdues en même temps que 50 kW tandis que 20 kg venaient s’ajouter sur la balance. On sait aussi que la diminution de performance des LMP2 passe par les pneus Goodyear moins constant que l’an passé mais cela se fera plus sentir sur la durée d’un relais que sur la performance pure. On peut désormais se demander comment l’ACO et la FIA vont procéder au nécessaire rééquilibrage Hypercar/LMP2 ? Augmenter le niveau de performance des LMH ? Difficile puisqu’il faut concilier cela avec celui des LMDh, encore absentes pour une année, certes mais que l’on ne peut négliger pour autant. Il faudra donc certainement encore mettre à mal la compétitivité des LMP2. Et finalement revenir certainement à ce que les LMP2 pouvaient faire avant la nouvelle génération de 2017. Souvenons-nous en effet que la Pole LMP2 au Mans en 2016 fut signée par une Oreca 05 en 3’36"605. De là à dire qu’il suffit de ressortir ces anciennes LMP2 du garage, il n’y a qu’un pas à ne pas franchir…

Toujours est-il que l’on se retrouve dans une situation un peu ubuesque et très certainement inconfortable pour un grand nombre de personnes à la veille des essais officiels des 6 Heures de Spa 2021. Et très clairement, on se retrouve dans cette situation parce que les LMP2 de 2017 ont été placées à un trop haut niveau de performance. Le but initial était évidemment de leur donner leur chances face à leurs sœurs jumelles, les DPi de l’IMSA. Mais pour cela, il fallait qu’elles sortent 600 chevaux et les coûts sont allés à la hausse très rapidement alors que le contingentement à quatre constructeurs seulement visait justement à les contenir... Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises. Sur le plan des performances, les LMP2 2017 sont de véritables LMP1. La pole signée par l’Audi R18 en 2011 au Mans était de 3’25"738. La nouvelle 908 tournait à peine moins vite 3’26"010. L’an passé, la pole en LMP2 se situait en 3’24"528… Alors ? Des P2 ? Vraiment ? D’ailleurs, n’oublions pas qu’en 2017, il s’en est fallu de peu pour que le team Jota ne fasse le casse du siècle. Bon OK, les dieux étaient encore tombés sur la tête de Toyota et Porsche avait failli subir le même sort. Mais vraiment, ces LMP2 ont tout d’une grande…

Alors certes, ces voitures ont donné beaucoup de plaisir à leurs pilotes durant les 4 premières années de leur présence et elles leur en donneront moins cette année comme ils ont déjà pu l’expérimenter en ELMS à Barcelone mais finalement, on les ramènera à un niveau de performance qu’elles n’auraient peut-être jamais dû quitter. La grenouille ne devrait jamais vouloir se faire aussi grosse que le bœuf…

Il semble que l’on ait décidé de ne plus rien changer pour la course de samedi comme Thierry Bouvet l’a confirmé. L’équilibre actuel LMP2/Hypercar restera ce qu’il fut ces deux derniers jours pour donner un peu de stabilité aux équipes engageant des LMP2. Les ingénieurs de Toyota Gazoo vont-il parvenir encore à trouver quelques dixièmes pour éviter dans un premier temps de voir la pole échapper aux deux seules réelles Hypercars engagées ? Quant au résultat de la course, tant d’aléas peuvent survenir que la victoire d’une LMP2 ce samedi à 19H30 n’aurait finalement rien d’étonnant. Même s’il est clair que l’on rêvait plus grand pour les débuts de l’Hypercar…

La question est : pouvait-on éviter d’en passer par là ? La performance théorique des Hypercars a-t-elle été surestimée au moment de décider à quel point on devait ralentir les LMP2 ? Au contraire, a-t-on sous-estimé le handicap chronométrique que le bridage de ces dernières allait entrainer ? La contrainte de ne pas devoir trop freiner les LMP2 face aux GTE est également une contrainte supplémentaire dans une équation pas simple. Peut-on se laisser aller à faire l’injure aux ingénieurs de Cologne de penser que la Toyota est mal née ? En l’absence de concurrence basée sur le même texte réglementaire, on ne peut comparer la GR010 à rien d’autre qu’elle-même…  Car l’Alpine A480, dont la présence est précieuse, est avant tout une LMP1 que l’on a bien voulu nommer Hypercar. De ce fait, on ne peut réellement jauger la Toyota privée de concurrence. De ce point de vue, l’arrivée de la Glickenhaus fera beaucoup de bien ! Mais on peut douter qu’une équipe aussi aguerrie se soit fourvoyée dans la conception de sa petite dernière…

Il s’agit de la première course de l’année donc on a encore un peu de temps pour s’assurer que tout soit à sa place pour l’épreuve la plus importante de la saison surtout lorsque celle-ci a lieu fin août. Mais au moment où la catégorie reine se dirige tout droit vers un système ou l’arbitraire régulera le sport via une BOP entre deux configurations d’Hypercars différentes (LMH et LMDh), on ne peut s’empêcher de constater que ces équilibrages artificiels sont décidément bien compliqués à valider. Et cela peut faire peur lorsque des constructeurs tels que Peugeot, puis Audi, Ferrari et Porsche auront rejoint les rangs du WEC. Le droit à l’approximation ne sera alors plus toléré…

Laurent Chauveau

5 thoughts on Equilibre délicat…

  1. Bien que je ne sois pas un inconditionnel de la marque Nippone, il faut bien reconnaitre que depuis le retrait de « Peuge » en 2012, le petit monde de l’endurance doit beaucoup à Toyota. Ton analyse, Lolo, ouvrira peut être les yeux de ceux qui critiquent la marque du « soleil levant » sans trop d’argumentations, mais surtout pour « causer » . Quant à ton analyse, elle est du niveau « Laurent Chauveau. C’est à dire claire – nette – précise et sans bavure……

  2. Article parfait, que dire de plus..? Que les instances dirigeantes ne prendronynpas de risques face aux constructeurs…a moins de se tirer une balle dans le pied.

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