Ah ben non, désolé...

Huis Clos...

La dernière fois que j’ai loupé les 24 Heures du Mans, c’était un jour ou les Diables Rouges se prirent une déculottée à la Beaujoire. Alors que le départ des 24 Heures avait déjà eu lieu, j’ai pourtant eu tout le loisir de regarder cette belle victoire 5-0 des bleus de Platini dans leur Euro. Et pour cause. J’avais mal bossé à l’école, j’avais été prévenu à l’avance, j’ai été privé du Mans, privé de la victoire de la 956 jaune et noire avec un peu de vert. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Depuis lors, même le service militaire ne m’a pas éloigné de la course malgré un planning initial qui m’empêchait de venir. Lorsque ma sœur s’est mariée, elle m’a auparavant demandé la date des 24 Heures afin d’éviter le clash de dates. De 1985 à 2019, aucune interruption. J’étais là pour la première défaite de Porsche après 6 années de domination totale. J’étais là lorsque le quadri hurlant fit triompher le orange fluo. J’étais là lorsqu’une GT noire a dominé les protos au bout des deux tours de cadran. J’étais là lorsque Sébastien ne put éviter l’envol fatal. J’étais là lorsque Mark pris la direction de la cime des arbres devant les télés du monde entier. J’étais là lorsque Tom, Frank et Emanuele s’imposèrent pour la troisième fois d’affilée. J’étais là pour voir les verts tout perdre à cause de la boite, l’année ou ils ne pouvaient pas perdre. J’étais là lorsque les bielles firent des étincelles. J’étais là en 2011 pour ce sommet de course ! J’étais là lorsque Allan bifurqua vers les platanes... J’étais là lorsque « I have no power ! ». J’étais là lorsqu’un bête pouce levé dans la nuit mit un terme à un rêve nippon. J’étais là quand c’était top. J’étais là quand ça ne l’était pas.

J’ai toujours pensé que si quelque chose devait un jour anéantir l’objet de ma passion, cela viendrait des lobbies écolos. Mais je n’aurai jamais pu imaginer qu’un ennemi de moins de 200 nanomètre de diamètre puisse venir mettre à mal mon espoir de poursuivre cette série. Moins de 200 nanomètre et il fout la planète à terre. Il nous prive du sel de la vie. Il va nous priver de ces secondes de frisson avant le départ. Il va nous priver de ces batailles de GT roues dans roues. Il va nous priver de ces dépassements à la limite pour ne pas perdre la moindre seconde dans le trafic. Il va nous priver de ces embardées qui nous donnent le frisson avant de prêter à sourire lorsque la voiture repart sans trop de bobos. Il va nous priver de la nuit, la plus longue de l’histoire des 24 Heures avec celle de 1968, automne oblige. Il va nous priver du coucher de soleil. Il va nous priver de l’aube. Il va nous priver de ces deux moments magiques ou tout change sur le circuit. Il va nous priver de notre fatigue due à ces pas trop nombreux. Il va nous priver des merguez sur l’aire de Beauséjour. Il va nous priver des parapluies qui risquent d’être nécessaires fin septembre. Il va nous priver de la joie de retrouver des copains tout aussi fans que nous. Il va nous priver de ces discussions enflammées sur l’avenir de l’épreuve. Il va nous priver de la séance d’autographes. Il va nous priver de la Parade. Il va nous priver du podium. Il va nous priver. Enormément.

2020 ne s’annonçait pas comme l’épreuve la plus attendue par les fans, la faute à un LMP1 désormais à l’agonie, à un plateau GTE en nette baisse avec les départs de BMW et Ford auxquels s’ajoute le forfait ponctuel de Corvette. Ça s’annonçait plus gris que d’habitude, c’est vrai. Et pas seulement sur le plan météo. Pour autant, rien ne remplace le fait d’être sur place. Pour beaucoup, l’envie de venir est là malgré tout. Par habitude mais surtout par passion. Malgré tout, il faudra s’y résoudre. Pour cette année, c’est non. La décision vient de tomber. Les 24 Heures du Mans 2020 auront lieu à huis clos. Et ne croyez pas que le fait d’être accrédité média depuis 1993 protège en quoi que ce soit l’auteur de ces lignes. Personne ne sait en cet instant à quelle sauce il sera mangé…

Que ce sera triste de voir ces tribunes vides. Que ce sera sinistre… Les pilotes pourront continuer de s’amuser, de partager leur exigu cockpit mais le public n’aura pas le droit de les voir depuis les tribunes. Cela semble incongru lorsque les cinémas sont ouverts. Il s’agit pourtant de lieux clos. Disneyland Paris vient d’ouvrir à nouveau mais ce qui est possible en Seine et Marne ne l’est pas en Sarthe. Les plages méditerranéennes sont bondées. Mais on ne peut pas accueillir un peu de public au Mans. Il y a certainement de bonnes raisons pour de telles différences de traitement mais elles sont difficiles à comprendre vu de l’extérieur.

Pour les équipes, il était indispensable de sauver Le Mans 2020 coute que coute... Leur survie passait par là. Soit. Mais que fait-on pour la suite ? Certains imaginent déjà que l’Euro de Foot pourrait ne pas avoir lieu même à huis clos. 75% des japonais pensent que les Jeux Olympiques ne pourront pas se dérouler l’an prochain ! Le Mans 2021, c’est dans moins d’un an ! Allons-nous enquiller une deuxième épreuve sans public ? Est-ce imaginable ? Est-ce viable ? Je ne parle même plus des équipes là mais de l’organisateur. Pour l’ACO, passer des 250.000 spectateurs annoncés l’an passé à zéro cette année va engendrer une perte financière considérable. Si tant est que cela soit gérable une année, le sera-ce une seconde ? Cela parait peu probable…

Mais surtout la question qu’il va falloir absolument se poser dans les semaines à venir est la suivante : Jusqu’à quand notre peur de la mort va-t-elle devoir nous priver de la vie ? Jusqu’à quand la peur de saturer les hôpitaux de malades peut-elle justifier que l’on nous prive de nos petits plaisirs ? Et cela ne concerne pas que Le Mans. Cela concerne tous les loisirs de la vie. Cela concerne l’échange de nos sourires, de nos moues, cachés derrière un masque. La culture et le sport sont les grands perdants de cette crise sanitaire. Mais jusqu’à quand pouvons-nous vivre ainsi ? Jusqu’à quand allons-nous devoir nous divertir uniquement par écrans interposés avec des tribunes vides ? Est-ce encore réellement la vie ?

Laurent Chauveau

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